Un astronome à Laghouat (Algérie) en 1913-1914, Valentin Fournier,
des Observatoires Jarry-Desloges
Les frères Fournier
Les frères Fournier, Georges et Valentin, nés en 1881 et 1884, dans un village à la lisière du Morvan, Rouvray (département de l'Yonne), montèrent encore adolescents à la capitale afin d’y poursuivre leurs études en vue d’embrasser la carrière d’instituteur. Passionnés par les sciences, ils adhérèrent (en 1898 et 1901 respectivement) à la Société Astronomique de France, fondée en 1887 par Camille Flammarion, où ils côtoyèrent, outre son illustre fondateur, le comte Aymar de la Baume Pluvinel (plus tard - 1932 - Académicien) qui remarqua leur intelligence, leur don d’observation et leur soif de connaissances.
Collaboration avec le mécène Jarry-Desloges
Il y firent la connaissance d’un astronome amateur aussi fortuné qu’éclairé, René Jarry-Desloges (né en 1868), qui était animé d'une autre passion, celle des fleurs cultivées, en particulier les roses (un prix d’horticulture porte son nom). En matière d’astronomie, Jarry-Desloges travailla sur un projet d’installation, en différents points du territoire français, de stations d’observation temporaires, mobiles, destinées à scruter les surfaces planétaires, notamment celle de Mars ; pour les campagnes d’observation, c’est à Georges et Valentin Fournier qu’il fit appel, en qualité d’astronomes-adjoints, lesquels furent pour l’occasion déchargés de leur fonction d’enseignant durant les périodes correspondantes.
Une première station fut installée au Mont-Revard, au-dessus du lac du Bourget en Savoie, vers 1500 m d’altitude, qui fonctionna pendant l’été 1907 (coupole de 5 mètres de diamètre, réfracteur Merz de 29 cm et distance focale de 3,50 m) ; cette station fut transportée en Juin 1909 au Massegros (Lozère), vers 900 mètres d’altitude (une maison d’habitation en bois également démontable avait été prévue), tandis qu’une nouvelle station fut érigée au Revard, avec une coupole de 7,25 m de diamètre et un objectif Schaer de 37 cm, transférée à son tour en Septembre de la même année dans la plaine de la Beauce à Toury, où les travaux d’observations furent poursuivis jusqu’en Mars 1910.
En Novembre et Décembre 1910, après une minutieuse étude sur documents, Georges Fournier, équipé d'un réfracteur de 6 pouces, fut chargé par Jarry-Desloges d’une mission préparatoire en Algérie destinée à déterminer les emplacements les plus favorables pour l’établissement d’une nouvelle station astronomique ; c’est la localité de Sétif qui fut choisie, sur les hauts plateaux (environ 1150 m d’altitude), à quelque 130 km à l’Ouest de Constantine ; le matériel de Toury y fut transporté en Septembre 1911, et les observations s’étalèrent sur 5 mois, d’Octobre à Février 1912 (G. Fournier), concurremment avec celles effectuées au Massegros, dont les installations avaient été maintenues; dans cette localité, la série d'observations avait débuté en Août (G. et V. Fournier, puis Valentin seul à partir de fin Septembre, jusque Février).
Pour la campagne
1913-1914, à la suite d'un voyage exploratoire effectué par R.
Jarry-Desloges lui-même en Février-Mars 1913, muni d'objectifs
de 6 et 9 pouces, un second site algérien fut choisi, la ville de Laghouat,
à environ 330 km (en ligne droite) au Sud d’Alger, au pied de l’Atlas
saharien, au seuil du désert (altitude environ 750 mètres), où
l’on pouvait compter sur un ciel presque toujours serein, avec une admirable
transparence atmosphérique ; le matériel du Massegros, coupole
de 5 mètres et réfracteur Merz de 29 cm, y fut acheminé
en Octobre 1913, au prix de grandes difficultés, notamment à travers
les 200 km de pistes qu’il fallut parcourir entre le terminus du chemin de fer
(Boghari, à l’époque), et Laghouat.
A Sétif, c’est un nouvel objectif, de 50 cm de diamètre, fabriqué
par Schaer, qui fut utilisé.
D’Octobre 1913 à Février 1914 officia à Sétif Georges Fournier (avec son frère en Octobre), tandis que Valentin, travailla à Laghouat entre Novembre et Février.
Toutes les observations effectuées par frères Fournier, accompagnées des synthèses de Jarry-Desloges, sont consignées de façon très minutieuse dans les magnifiques volumes des « Observations des surfaces planétaires » (Annales des observatoires Jarry-Desloges), remarquablement illustrés de très nombreux dessins, dont voici quelques planches, extraites du fascicule IV, relatif à la campagne 1913-1914:
Surface
de Mars
Planisphère de Mars
Surface de Saturne
Surface de Jupiter
L’oasis de Laghouat
La ville de Laghouat, à la latitude de 33° 48’, est située sur l’Oued Mzi, au revers sud-est du massif du Djebel Amour*, sur les contreforts de l’Atlas saharien ; elle possède une vaste palmeraie, à l’ombre de laquelle se cultivent quelques céréales et des arbres fruitiers.
* ce massif montagneux a fait l’objet de la toute première image satellitaire Spot, le 23 Février 1986
Cette ville a été conquise par la France en 1852, à l’issue de combats meurtriers, et a fait l’objet par la suite d’une rénovation de grande ampleur, avec un quartier européen très étendu, sillonné de longues avenues à arcades et parsemé de places, et de nombreux bâtiments militaires, dont le fort Bouscaren qui domine la cité. Le quartier arabe traditionnel, appelé « Chtett » s’étend au Sud-Ouest de l’agglomération.
A l'Ouest du quartier colonial s’étend une vaste caserne, appelée Margueritte, ou caserne des tirailleurs, c’est dans son enceinte, en toute sécurité, que fut installée en 1913 la coupole de la station astronomique, avec l’accord de l’autorité militaire de l’époque. Le logement attribué à l’astronome-adjoint se situait quelque part « loin de tout bruit, au milieu des jardins enchanteurs de l’oasis »
Les vues suivantes montrent différents aspects de Laghouat, essentiellement d’après les clichés stéréoscopiques réalisés sur plaques de verre par Valentin Fournier en 1913-1914**, que viennent compléter plusieurs documents dont la provenance est indiquée:
** obligeamment prêtés par Etienne Fournier
(Cliquer sur les miniatures pour agrandir les images)
Voici quelques clichés d'autres endroits d'Algérie réalisés par V.F. ou par G. F. (lors de la mission exploratoire de Novembre-Décembre 1910):
Ce que sont devenus Georges et Valentin Fournier, après
la campagne algérienne de 1913-1914
Peu de temps après les missions de Sétif et Laghouat éclata le conflit 1914-1918 dans lequel des millions d’hommes mobilisés, à l’instar de G. et V. Fournier, furent contraints, comme leurs ennemis, d’endurer les pires souffrances, physiques et psychologiques, dans de sordides tranchées ou sur des champs de bataille tragiques.
Georges et Valentin Fournier, grâce au ciel, échappèrent à la mort, ce dernier de peu, puisqu’il fut sévèrement gazé alors qu’il servait comme officier-brancardier non loin des lignes allemandes.
L’un et l’autre reprirent leurs fonctions enseignantes; Valentin, nommé directeur d’Etablissement, ne put continuer dans le domaine des études astronomiques, même s’il restait membre actif de la Société Astronomique de France (voir ci-dessous sa médaille des 60 ans de sociétariat); au contraire, Georges poursuivit dans cette voie, en assumant différentes fonctions au sein de cette Société, notamment celle d'administrateur de l'observatoire de la rue Serpente à Paris; lauréat de plusieurs Prix scientifiques (dont le prix Lalande de l'Académie des Sciences, en 1925), il prit une part active, en 1952, à Rome, à l’Assemblée générale de l’Union Astronomique Internationale, laquelle lui confia la révision de la nomenclature martienne, oeuvre qu’il ne put achever du fait de son décès en 1954.
Ses successeurs dans cette instance lui rendirent hommage en 1973, en lui dédiant un cratère de la planète Mars, de 112 km de diamètre, situé au Nord d’« Hellas Planitia » non loin des cratères Jarry-Desloges, Huygens, Antoniadis, Flammarion (coordonnées 4,2° S, 287,4° W).
Il fut également Président de la Société archéologique et historique de Chelles, ville de Seine-et-Marne où il résidait; un groupe scolaire de cette localité porte son nom.
Valentin Fournier, du fait des séquelles de ses blessures de guerre, dut prendre sa retraite précocement, et se retira, avant la 2nde guerre mondiale, dans un petit village de Meurthe-et-Moselle, Saint-Mard, près de Bayon, non loin des rives de la Moselle, commune dont il fut maire entre 1949 et 1953.
Après le
décès de son épouse Marie Mathieu en 1973, il se transféra
à Nancy, où il s'éteignit le 20 Février 1978.
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